Chou Hybride 2020 ou L'autre origine du monde - Joël RAFFIER
A l'origine, disons avant le big-bang ou plus précisément avant le flash de l'appareil photographique, il y a un chou Milan ou de Pontoise, tout ce qu'il y a de plus banal et même trivial. Par un processus créateur parfaitement singulier, ce légume va être « chargé » par le chaman Riberzani et son équipe jusqu'à devenir une bombe virtuellement porteuse de significations multiples. Il s'agit véritablement d'un travail de démiurge ! De la même façon que, dans la graine, on doit anticiper la plante, ou, dans l'embryon, l'humain futur, Daniel Riberzani, à partir d'une photo puis d'un carton doit anticiper le potentiel d'une représentation d'un chou en tapisserie. Il doit anticiper, pour faire court, la centaine de teintes, élaborées par la Maison Terrade, des soies et des laines, à partir de l'échantillonnage qu'il a fourni, il doit anticiper l'interprétation et le rendu sur le métier de basse lisse du motif initial et sa mise en textile par les lissiers et lissières de l'Atelier Bernet à travers des choix et des gestes hautement maîtrisés, il doit même anticiper le regard de sa commanditaire, Francine Ortiz, muse au sens non dégradé du terme, c'est à dire co-créatrice dans la mesure où sa volonté et son désir sont essentiels à l'émergence de cette réalisation.
Puis vient la naissance ou l'éclosion ! La tapisserie séparée du corps du châssis par le coupage des fils ombilicaux, la tombée hors du métier utérin, enfin la préparation intime avant la présentation à la famille des « parents » réunis, et alors, les premiers cris – et même de furtives larmes - des admirateurs, non du bébé. On suppose ce dernier mâle car on privilégie la représentation, le chou, au support, la tapisserie.
C'est à ce moment que L'autre Origine du monde s'impose à nous avec la même intensité que celle de Courbet ! On sait que le chou est un symbole de fécondité. Selon une légende, populaire jusqu'à il y a peu, les garçons naissaient dans des choux tandis que les filles étaient issues des roses. Un des premiers films de fiction, à la fin du dix-neuvième siècle, réalisé, par Alice Guy, traitait ce thème : il a pour titre La Fée aux choux. Un nouveau sujet pour Francine Ortiz et Daniel Riberzani ?
Que voit-on en réalité ? Un chou qui a échappé à sa prédétermination de légume pour devenir un symbole aux significations multiples se déployant notamment en oppositions fondamentales et complémentaires. Nous voyons un chou magnifié, en Majesté, christique et divinisé. Ce chou, sa représentation en tapisserie, certes réaliste et même hyperréaliste, qui s'inscrit dans un cadre abstrait, légèrement déconstruit, suscite immédiatement cette pensée magrittienne : ceci n'est pas un chou ! Non, c'est bien un être hybride, mâle et femelle, qui baigne dans un fond placentaire pourpre et dont les feuilles s'écartent pour dévoiler selon le ressenti de chacun les nacres et les coraux d'un sexe soyeux ou un cœur palpitant. C'est donc bien un symbole de la naissance mais aussi de la mort, car nous sommes ici dans le genre pictural de la nature morte, précisément du thème de la Vanité, et nous pressentons déjà, au pourtour des feuilles, l'apparition des insectes qui les dévoreront. Notre culture picturale peut nous conduire aussi du côté d'Arcimboldo et de ses compositions faune-flore en faisant naître le portrait d'un gnome au teint couperosé et aux oreilles en feuille de choux. Ce chou, par ses couleurs, ce sont les quatre éléments et les quatre saisons, on y retrouve des frondaisons d'automne, des prairies printanières, des crêtes neigeuses comme des étendues marines estivales. Ce chou renferme tous les paysages du monde, plaines verdoyantes, sommets arides, éruptions volcaniques, tempêtes océaniques. Ce chou, planté là, est une nature morte, un paysage-monde, un mandala et une superbe œuvre de Daniel Riberzani.
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